Accompagner le patient, humainement

Unité gériatrique de l’hôpital Erasme
Bruxelles, Belgique
–  Gaël Turine

Identifier ce que je voulais montrer, avec cette série de photographies, a pris du temps. La présence des masques, imposés par les mesures Covid, m’empêchait d’être véritablement au contact des soignants, ou du moins de les rendre “visibles” comme j’aurais souhaité le faire. La photographie est, par essence, muette, et me privait du son qui aurait pu pallier à la dissimulation des visages. Je craignais donc de ne pas pouvoir retranscrire la qualité des échanges entre les soignants et les patients, les intonations de voix, les sourires rassurants.

Puis m’est apparue une autre chose, absolument fondamentale dans ce qui est considéré et appelé par certains le “premier soin”: la présence. Cette manière d’être et d’accompagner le patient, humainement. Qu’ils aient lieu avant, pendant ou après la technicité du soin médical, ce pan du soin se prodigue par des regards, des paroles et des gestes.

Pratiqués mille fois, ces gestes en sont devenus naturels et rassurants.

“C’est habituel pour moi, je ne m’en rends plus vraiment compte”, m’a répondu une infirmière lorsque je lui ai avoué trouver particulièrement touchante son attitude vis-à-vis d’une patiente âgée. Ces gestes anodins auraient pu passer inaperçus. Ils me sont pourtant apparus infiniment beaux et fondamentaux.

Ces mains, posées avec tendresse et assurance ou parfois avec fermeté, voire un subtil mélange des trois, sont comme des prolongations physiques de la générosité qui anime chaque personne qui travaille quotidiennement à prendre soin de l’autre.

Si les visages masqués des soignants sont presque absents dans ces photographies, ce sont bien leurs mains au contact du corps des patients qui nous parlent d’elles et eux, et de ce “premier soin”. Si cette forme de touché, éloignée d’une pratique médicale, est habituellement réservée à la sphère intime, alors je dirais, après avoir passé quelques jours en compagnie des soignants et de leurs patients de l’unité de gériatrie, que l’intimité participe au soin de l’autre.

Gaël Turine

Au milieu des discours scientifiques qui alimentent notre quotidien de pratique médicale, j’aimerais évoquer une autre facette de notre travail et de notre relation au malade.
Cette dimension de la médecine s’apparente à un art de vivre, d’écouter, d’entendre, c’est l’art du soin, qui a, je pense, une place fondamentale au cœur de notre pratique.

Le patient angoissé est comme un enfant perdu. Tout son espoir, son souhait de survie se dirige vers le soignant. Dans le psychisme du patient, tout ce que nous livrons peut amener encore plus d’angoisse. Tout ce que nous lui disons peut aussi l’amener à plus de pacification et de sérénité.
Un simple mot, un simple geste, suffisent à transmettre ce qui est indispensable.

La manière dont nous entrons dans une chambre manifeste quelque chose du regard que nous portons sur celui qu’on soigne, sur son corps et sur tout son être. Dans notre relation au malade, nous pouvons être dans une relation Amour-joie définie par Aristote qui invite à aimer sans forcément être aimé. Il y a dans cette définition de l’amour, les notions de fidélité, de respect, de partage. Cet amour est lié à la valeur que nous donnons à la personne qui est en face de nous. Donner ce qu’on a de façon désintéressée avec l’objectif d’apporter du réconfort, de l’aide, du soutien.

Suivant nos convictions, nous pouvons appeler ce don, compassion, charité ou altruisme.

Le geste du soin dépasse de loin le simple geste technique, nous pouvons valoriser le corps du malade, pas seulement par des mots, mais au travers du toucher, au travers de notre manière d’être.

Que ce soit un infirmier qui entre dans une chambre, une seringue à la main, que ce soit un médecin avec le stéthoscope autour du coup, que ce soit l’aide logistique avec un plateau repas, ou un technicien de surface avec son balais, la manière dont nous entrons, la disponibilité que nous avons ou que nous n’avons pas, la relation que nous pouvons ou pas proposer au malade, sont les preuves tangibles du regard que nous portons sur le patient que nous soignons, sur son corps et sur tout son être.

Tout est important pour le malade et témoigne de l’attention que nous lui portons. La manière d’arranger un coussin, un oreiller, la manière délicate ou brutale de le positionner dans son lit, l’attention que nous portons aux soins de bouche, le fait de s’assurer qu’il a ce qui est nécessaire à portée de main, le respect du corps, de l’intimité du patient lors d’une toilette ou d’un massage, tous ces gestes, toutes ces attentions témoignent du désir d’aider et de prendre soin de l’autre.

Le patient que nous abordons est dans un état de dépendance, il est dans une situation d’exception, de solitude et d’angoisse face à ce qui lui arrive. Il attend beaucoup plus de nous que nous ne l’imaginons.

Extraits du texte “L’Art du soin” du docteur Luc Sauveur